Quand François Chauvet m’a proposé un espace dans son lieu Hang-art, pour y présenter des œuvres issues de mes collectes, j’ai senti le sol se dérober sous mes pieds … Une collection est un peu un jardin secret ! Montrer au public des œuvres qui m’accompagnent au quotidien, de la cuisine au séjour, en passant par la chambre, n’est pas une démarche si facile. Mais François a su me donner confiance, et je l’en remercie ! Il me fallait ensuite trouver une ligne à ma sélection, un angle d’attaque … J’ai choisi de montrer des œuvres de créateurs qui, par leur amitié, m’ont nourri…, et par leur générosité ont alimenté ma collection. J’ai choisi des créateurs qui n’ont pas encore eu la chance d’exposer dans ce lieu inspiré, animé par François Chauvet et ses collaborateurs. Au fil des années, ce Hang-art est devenu incontournable pour les auteurs et les amateurs d’Art Brut/Singulier. J’ai rassemblé mes collectes sous le vocable « Art obscur » par jeu. Et je m’y suis laissé prendre … Ce terme avait été proposé par le peintre suisse René Auberjonois à son ami Jean Dubuffet, au moment où ce dernier choisissait celui d’Art Brut. C’est donc en faisant les poubelles de Dubuffet (comme on a su me le faire remarquer) que j’ai découvert ce mot ‘Art obscur’. Mais il y a des merveilles dans les poubelles ! Et ce n’est pas les auteurs d’Art Brut/Singulier qui me contrediront … eux qui y trouvent souvent supports et matériaux pour créer des œuvres venues d’on ne sait où ….du plus profond d’eux-mêmes a-t-on l’habitude de dire. Vous avez dit obscur ? Leurs productions sont rarement sous les projecteurs officiels. Elles restent donc, le plus souvent, dans l’obscurité… J'aii choisi de présenter des créations de Pierre Albasser, Gustave Cahoreau, Patrick Chapelière, Claudine Goux, Jean-Paul Henry, Rosemarie Koczy, Jean-Christophe Philippi, André Robillard et Gérard Sendrey. Un amateur sort de ses réserves … Michel Leroux Pierre ALBASSER Pierre Albasser est né le 23 décembre 1936 à Mulhouse, dans le Haut Rhin. Aîné de quatre enfants d'un ouvrier des mines de potasse, il entre à l'âge de neuf ans au Petit Séminaire à Zillisheim où il apprend le français. Après des études de mathématiques à Mulhouse, Strasbourg et Paris, il entre dans une école d'ingénieurs à Lyon, choisissant la section Travaux Publics. Il se marie à Düsseldorf où naît sa fille. Ils vivront successivement à Rio de Janeiro, à Strasbourg puis à Versailles. Il devient alors P.D.G. d'un important bureau d'Etudes et le stress va bon train. Il commence à griffonner sur des post-it pendant ses réunions et conversations téléphoniques. En 1992, le contexte économique et la crise du bâtiment le mettent prématurément à la retraite et, encouragé par son épouse, il se met à dessiner avec assiduité. Au début, son œuvre circule essentiellement par le biais de l'art postal et figure dans diverses expositions consacrées à cette forme d'art. Pierre Albasser vit aujourd'hui à Lagord, près de la Rochelle. Il dessine quotidiennement, et exclusivement au dos des cartons d'emballage de produits alimentaires et autres consommés par le couple. Ce qui se traduit par des formats divers, aux découpes inattendues et aux perforations insolites. C’est avec des stylobilles qu’il a commencé à dessiner, striant et hachurant des formes humaines ou animales. Maintenant, aux stylobilles quémandés chez les commerçants ou ramassés dans les rues, des crayons à papier, feutres, pastel, gouaches racornies et même des cartouches d’imprimantes vides ont enrichi ses moyens d’expressions graphiques. Ainsi, des griffures, des taches, des coulures ou des surfaces unies riches en couleurs sont venues le sortir du système des petits traits. Sa production est exclusivement à destination de sa femme Gudrun. Elle est donc l’exploratrice privilégiée de son œuvre, et a le rôle de conservatrice. Pierre Albasser aime à nous dire que si un jour sa femme n’est plus là, il ne dessinera plus ! Site de La Création Franche Gudrun Albasser et Michel Leroux Gustave CAHOREAU Fils d’ouvrier agricole, aîné de sept enfants, Gustave Cahoreau est né le 16 Août 1929 à Neau en Mayenne. A l’age de dix mois, il est atteint par la méningite. De son court passage à l’école communale, il ne garde aucun souvenir, excepté en dessin : « j’étais champion ! ». Il a dix ans lorsque la seconde guerre mondiale éclate, et elle le traumatise encore. Dés l’âge de treize ans, il est placé comme domestique dans les fermes de la région ; emploi qu’il occupera toute sa vie. En 1963, son père meurt accidentellement « écrasé sous une charrette de foin ». C’est à cette période qu’il commence à ramasser des pierres, des racines, aux formes étranges qu’il sculpte. « Quand mon patron a vu ça, y m’a tapé……j’ai pleuré ». Quelques années plus tard, il tombe enfin chez « un bon patron » : c’est le début de sa grande production de Totems sculptés dans des bois de récupération (chevrons, limons, etc…). Ensuite apparaîtront ses dessins : Hommes au chapeau, Profils de femmes africaines, etc… Aujourd’hui, Gustave Cahoreau réside dans une maison de retraite en Mayenne. Il n’a plus la force physique de sculpter, mais il dessine toujours, principalement des profils de femmes africaines. Michel Leroux Patrick CHAPELIÈRE Patrick Chapelière est né le 3 juin 1953 à Champfrémont en Mayenne. Il quitte l’école à l’âge de 14 ans pour travailler dans la pâtisserie. Il sera ensuite employé dans un foyer protégé. Aujourd’hui, il vit à Alençon, et travaille dans une entreprise de conditionnement de C.D. C’est au cours d’une longue période de chômage qu’il commence à peindre. Les thèmes principaux de cette période sont : la nature, les animaux, les fleurs. La couleur rose est omni présente dans ses travaux. Il utilise comme support le carton, mais aussi les murs intérieurs de sa maison … Plus récemment, Patrick Chapelière s’est mis au dessin : crayons de couleur sur carton. Pour donner formes et volumes à ses dessins, il s’est inventé une technique très personnelle : à l’aide d’une pointe d’acier (stylo bic vide), il grave légèrement son support cartonné. Son univers est peuplé d’animaux fantastiques, de paysages bucoliques, d’architectures imaginaires (châteaux, églises). Au milieu de ses compositions apparaissent très souvent d’énigmatiques fillettes joliment coiffées, et portant belles robes. Patrick Chamelière peint et dessine pour lui même, pour son plaisir. Il développe une œuvre inventive, avec une grande sensibilité. Ses créations pourraient se rapprocher de l’Art Naïf, mais ce label est tellement galvaudé qu’il en a perdu son âme. Alors disons que Patrick Chapelière dessine et peint naïvement. Michel Leroux Claudine GOUX Claudine Goux est née le 2 février 1945 à Niort, de parents enseignants. Elle entreprend des études de médecine qu'elle achève à Bordeaux, puis, après un stage d'un an en milieu hospitalier, elle abandonne sa carrière. Elle se marie en 1971 avec un psychiatre et devient mère de famille. Ensemble, ils vivront successivement à Angoulême, Poitiers et Auch pour se fixer à Gradignan, en Gironde. En 2008, ils s’installent à Royan. Cette artiste commence à peindre en 1971. Elle s'intéresse tout d'abord à l'art nègre et à Gauguin puis traverse une période cubiste. Mais très vite, elle trouve son propre langage pictural, proche de celui de la miniature et composé d'êtres imaginaires. A cette époque, elle découvre les écrits de Jean Dubuffet avec qui elle a un échange épistolaire. Aux alentours de 1978, elle rencontre Aristide Caillaud qui lui achète des œuvres, l'encourageant ainsi à poursuivre son cheminement solitaire. Claudine Goux pratique la gravure, peint à la gouache et à l'acrylique, dessine à l'encre de Chine, réalise des triptyques dont le cadre est un prolongement pyrogravé de l'œuvre. Elle illustre également un nombre considérable d'ouvrages de poésie. Son travail, fait de ciselures et de fines hachures nous entraîne dans la mythologie et l'histoire des religions qui la passionnent. Cultivant simultanément le sacré et le profane, elle nous offre à voir, avec grande délicatesse, la quintessence de sa rêverie infinie. Claudine Goux cultive également la grande discrétion, pour ne pas dire l’effacement, à propos de son travail. Loin des vitrines des m’as-tu vu … elle est à l’ouvrage, à l’œuvre ! Site de La Création Franche et Michel Leroux Jean-Paul HENRY Jean-Paul Henry naquit le 3 avril 1945 à Melun. Il était l’aîné de cinq enfants. « Un enfant sage, trop sage » nous dit sa sœur Marie-Elisabeth. Le début de sa scolarité est normal, mais quand il entre en sixième, ses professeurs s’inquiètent de ses difficultés à communiquer. Il arpente la cour du lycée en tenant des propos incohérents. « Henry t’es fou ! » lui crient ses ‘camarades’ … Nous sommes en 1961, Jean-Paul doit quitter l’établissement et aussi mettre fin à son parcours scolaire. Tout en étant suivi par des psychiatres, il occupe un emploi à temps partiel chez un horticulteur bienveillant. C’est en 1975, lors de séances de psychothérapie, que Jean-Paul commence à dessiner. Une passion serait-on tenté de dire, mais disons plutôt une nécessité, qui va durer près de trente ans !!! Des piles et des piles de dessins vont littéralement envahir la maison familiale. Sa mère meurt en 1991, puis son père le 29 novembre 2005. Six jours plus tard, le 5 décembre 2005, Jean-Paul meurt suite à une hémorragie liée à un ulcère dû au stress. Il n’a pas pu supporter le départ de son père. Jean-Paul Henry nous laisse une œuvre forte, bouleversante, démesurée. Une œuvre qui va au-delà du beau académique, au-delà du beau décoratif. Elle nous vient d’une autre rive (celle de la schizophrénie), d’une autre solitude aussi. Il a dépassé la ligne rouge de notre raison… Michel Leroux Rosemarie KOCZY Rosemarie Koczÿ est née le 5 mars 1939 à Recklinghausen, en Allemagne. Survivante de deux camps de concentration, (sa famille ayant été en grande partie décimée durant la Choa), elle passe son enfance dans divers orphelinats, puis s'installe en Suisse en 1961 où elle suit des cours aux Arts Décoratifs de Genève. Elle s'intéresse à la Tapisserie et entreprend des recherches ethnologiques sur les techniques textiles primitives d'Afrique, d'Océanie, de Mélanésie et des Hébrides puis sur la teinture végétale en Europe et en Amérique latine. Grâce à ses travaux, elle est récompensée en 1975 et 1976, par le Prix du Crédit Suisse à Genève et le prix d'encouragement à la recherche de la Fondation Peggy Guggenheim de Venise. En parallèle avec cette activité, Rosemarie Koczÿ peint au doigt des toiles de grand format, réalise des cahiers à l'encre de Chine, des pastels, des aquarelles, des lithographies, des sculptures et des collages. Ses œuvres qui privilégient le blanc et le noir expriment la souffrance liée à la condition humaine. Elle brosse également des portraits de ses parents et amis disparus pendant la guerre, leur rendant ainsi hommage et témoignant de la barbarie qui eut lieu durant cette période noire de l'histoire : « Les dessins que je fais chaque jour s’appellent ‘Je vous tisse un linceul’. C’est un enterrement que j’offre à ceux que j’ai vu mourir dans les camps, quand j’ai été déportée, de 1942 à 1945…. » Elle a également écrit de nombreux récits sur l'histoire de sa famille, des textes publiés aux éditions L’AMATEUR (Blanche Marie et Alain Arnéodo). Rosemarie Koczÿ vivait à Croton on Hudson, aux Etats-Unis. Elle y est décédée le 12 décembre 2007. Site de la Création Franche et Michel Leroux Jean-Christophe PHILIPPI Jean-Christophe Philippi est né le 13 avril 1963 à Strasbourg. Il commence à dessiner et à peindre très tôt sous l'influence d'un oncle qui est peintre. A partir de l’âge de 15 ans il expose dans des galeries associatives et il participe à de nombreuses expositions collectives. Il exposera ensuite surtout en Alsace, en Allemagne et en Suisse. Parallèlement à son activité artistique il mène des études de lettres et devient professeur. Il arrêtera de peindre pendant 10 ans, déçu par le milieu artistique, avant de découvrir l'existence de l'Art Brut qui sera pour lui le plus grand choc esthétique. Il expose régulièrement, principalement dans des musées et des galeries qui présentent des artistes bruts ou singuliers. Jean-Christophe Philippi utilise différentes techniques et matières pour faire surgir des ‘Divinités’ aux regards intenses. Des animaux et des personnages griffonnés à la mine de plomb jaillissent également, avec grande force, sous des lacis de lignes. Infos obtenus auprès de l’artiste par Michel Leroux André ROBILLARD André Robillard est né le 27 octobre 1931, au lieu-dit de ‘La Mal-tournée’, et lui d’ajouter : « Ça m’étonne pas qu’ça a mal tourné ! » Son père était garde forestier et l’origine de ses célèbres fusils est certainement là ! Ou bien ailleurs … Une façon peut-être d’exorciser l’image de son père tirant sur sa mère : « Heureusement, elle a eu le temps de s’baisser ». Le couple a donc mal tourné. A l’âge de huit ans, André entre dans une école spécialisée, annexe d’un hôpital psychiatrique. Il en ressort quelques années plus tard pour devenir commis de ferme. Mais à l’âge de dix-neuf ans, devenu fugueur, colérique, c’est le retour à l’hôpital psychiatrique. Les années passent, et André Robillard retrouve une certaine stabilité. L’hôpital psychiatrique contacte alors ses parents pour qu’on vienne le chercher, mais ils ne sont jamais venus… Il quitte finalement le statut de malade pour devenir ouvrier dans le centre. Il travaille au jardin, à la blanchisserie, à l’entretien de la station d’épuration. Puis il y eut ce jour de 1964, mais que s’est-il passé ce jour-là ? Sa solitude était-elle plus pesante que les autres jours ? « …ça n’allait plus ! J’ai voulu faire quelque chose de ma vie ! » Voilà qu’André Robillard « bricole » un fusil ! Un fusil pour tuer le temps, pour « Tuer la misère » (1). Le docteur du centre contacte Jean Dubuffet, et la vie d’André bascule « Tu t’rends compte ! Quelle histoire ! C’est incroyable ce machin- là ! » André Robillard n’en revient toujours pas ! Ses fusils, ses dessins représentant des fusées et des planètes, ont fait le tour du monde (de l’Art Brut). A coups de fusils, André Robillard canarde nos certitudes en art ! Michel Leroux (1) Titre de la création théâtrale d’Alexis Forestier et Charlotte Ranson, avec la participation d’André Robillard. Gérard SENDREY Gérard Sendrey est né le 12 mars 1928 à Bordeaux. Originaire d’une famille modeste où l’on ne parle ni dessin, ni peinture mais plutôt musique, il montre très tôt un grand intérêt pour les arts plastiques. Il s’adonne à ce genre d’activités de façon sporadique jusqu’à l’âge de trente neuf ans où, entreprenant par ailleurs une analyse, il décide de consacrer tout son temps restant disponible à la peinture qui l’attire irrésistiblement. Il n’en poursuit pas moins un parcours professionnel administratif porteur de gratifications diverses. Sa première exposition n’aura lieu qu’après douze ans d’un parcours volontairement solitaire durant lequel il accumule les expériences à partir de différents médiums, fonctionnant déjà sur le principe de la série qu’il abandonne quand elle ne lui apporte plus de surprises, pour en entreprendre aussitôt une nouvelle qui excite sa curiosité. Ses expositions se succèdent alors à un rythme soutenu, en France, en Suisse, en Belgique, aux Pays-Bas, en Espagne, aux Etats-Unis, au Canada, en Australie … Lorsqu’il prend sa retraite à soixante ans, il crée ce qui deviendra le Musée de la Création Franche à Bègles et dans lequel il exerce le rôle de responsable jusqu’au 1er janvier 2009. Parallèlement, et encore plus depuis cette date, il s’active sans relâche dans sa démarche personnelle dite artistique. Les expositions et autres monstrations sont essentiellement pour lui autant de chances de communication, de reconnaissance et de rencontres chaleureuses, toutes choses auxquelles il aspire en priorité. Une importante rétrospective vient de lui être consacrée au Musée de le Création Franche. Dominique Jeanson et Michel Leroux