Née en 1966, vit et travaille à Nantes « Il y eut d’abord mon père. Je devais avoir 4 ou 5 ans. Il avait taillé pour moi avec son canif de poche un petit bateau dans le bois très odorant d’une écorce. Je me souviens avoir éprouvé admiration et envie. Ses gestes habiles à guider la lame pour faire apparaître le jouet restent une image vivante et semèrent sans doute pour l’avenir les graines d’un fort désir de faire émerger des formes. Merci papa Il y eut aussi ma grand-mère-sa mère qui m’apprit à redonner vie aux objets déglingués qu’on trouvait dans la déchetterie au pied de chez elle Merci mamie Il y eut mon grand-père maternel qui s’appelait Aimé. Je reçus de lui quand j’avais 4 ans un album à colorier d’images de Bécassine. Aimé m’apprit à mettre mon doigt au bon endroit pour ne pas dépasser. Je me souviens du plaisir ressenti à voir les hachures du crayon de couleur couvrir peu à peu les blancs cernés de noir de la forme à remplir. Merci papi … Plus tard, il y eut Jean Ricard. Jean était peintre et enseignant en arts plastiques. Il professait dans le collège que je fréquentais. Il enseignait avec exigence, fougue et passion… Merci Jean. Et puis il y eut jeune adulte la rencontre avec le poète belge Norge. Je puisais dans sa langue verte un art de vivre qui m’étaie encore… Vint alors le temps de l’entrée en création : les enfants d’abord. J’en eus 3. Tout en développant une formation artistique en solitaire dans les livres, dans les musées, dans les ateliers d’arts plastiques… Institutrice pendant 20 ans j’appréhendai parallèlement à ce travail de l’œil, de la main et de l’esprit la richesse et l’importance de l’acte de transmission auprès des jeunes générations. J’eus aussi la chance alors de pouvoir suivre une formation très riche en histoire de l’art et arts plastiques. Là je dis « merci l’état. » Voilà un peu d’où je suis. J’ai aujourd’hui quitté mon métier d’enseignante. Après avoir animé un atelier d’arts pendant 6 ans, j’ai finalement tout lâché pour me consacrer entièrement à mon travail artistique au cœur du vignoble nantais. J’ai la chance inouïe d’y avoir mon atelier dans l’ancienne école du village. J’ai avec le temps collecté des dizaines de témoignages intimes liés aux événements bouleversants de notre histoire commune. J’ai rencontré des anciens déportés des camps d’extermination, des enfants juifs cachés, des femmes tondues à la Libération, des familles nomades enfermées dans les trop nombreux camps de concentration français ouverts pour les y contenir entre 39 et 46. J’ai recueilli la parole de survivants de la guerre d’Algérie et de leurs descendants, enfants, petits enfants d’immigrés algériens vivant en France, de harkis, de pieds noirs, de juifs d’Algérie, d’appelés. A chaque nouvelle rencontre, j’ai cousu les mots dans des « cahiers de la transmission » pour que les récits continuent à vivre, pour que chacun puisse s’y éprouver, recevoir l’Histoire en chair et en os à l’heure des expositions.. De cette matière verbale intense, j’ai réalisé des films d’animation, des films documentaires, des installations composées de peintures, des sculptures, des dessins, des tissages, tentant toujours de trouver le médium juste pour relayer la parole confiée. Mon travail est mon armature. Il cherche la lumière dans l’ombre épaisse. Il tente d’appréhender les frontières entre le digne et l’indigne. Il est colporteur de cris, de souffrances, de chagrins, de drames. Il porte aussi en lui l’autre face de l’humain : la douceur, la tendresse, l’innocence. Il raconte des histoires de liens complexes et tragiques. Il revisite le passé pour éclairer le présent, par les mythes ou les événements les plus noirs de l’humanité. Il montre des êtres qui désespérément tentent de se tenir debout. Il montre la force de l’enfance qui porte malgré elle le poids d’un héritage qui la fonde. Il redit l’essentiel de la transmission et le devoir de se souvenir. » Marie Auger février 2024